Dr Kin

Obsession ou néant ?

exercice compulsif
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Nous connaissons tous et toutes quelqu’un qui affiche régulièrement ses performances sur les réseaux sociaux. Certains, plus pudiques, se contentent de scrupuleusement compiler leurs statistiques. Plus il y a des données, plus ces personnes sont heureuses.

On parle alors d’une obsession pour les chiffres et les données. Potentiellement une obsession maladive liée à la pratique de l’exercice.

Je dois d’emblée afficher mes couleurs, je suis de ceux et celles qui adorent compiler des données sur tout ce qui touche l’activité physique et la santé. J’ai porté pendant 12 mois consécutifs, 24 h sur 24, un accéléromètre afin de mesurer mon niveau d’activité physique, de sédentarité et compiler des données sur mon sommeil.

Pour 365 jours.

366 si l’année avait été bissextile.

Je ne fais pas une seule sortie de vélo ou en course à pied sans utiliser différents capteurs pour mesurer ma puissance, mon taux d’oxygénation musculaire, ma température corporelle, etc. Que ce soit un demi-marathon ou une sortie ludique de vélo en famille (quel est l’impact de tirer un chariot à vélo sur la réponse physiologique à l’effort ?).

Oui, je fais tout ça.

On commence à pointer du doigt les gens qui mesurent leurs performances comme ayant potentiellement des problèmes de santé mentale. En lien avec l’activité physique, certains vont parler de dépendance à l’exercice1.

Sans être qualifié en santé mentale, je crois que l’on mélange les parfums.

La dépendance à l’exercice n’est pas, à ma connaissance (merci de me corriger au besoin), reconnue comme une pathologie2. Bien sûr, ceci ne signifie pas que ça n’existe pas.

La dépendance à l’exercice pourrait se définir comme une obsession compulsive dans la pratique excessive d’exercice et la présence de symptômes de sevrage lorsque l’exercice n’est pas pratiqué.

On parle d’une dépendance « positive » tant que la pratique d’exercice ne cause pas de problème de santé. Généralement, c’est moins pire et dommageable que la dépendance aux opioïdes…

On commence donc à pointer du doigt les gens qui compilent leurs données, en soulignant qu’il s’agit d’une pratique problématique associée à des comportements obsessifs compulsifs.

On mentionne également que ces gens, à cause de leur compilation de données sur leur activité, n’éprouvent pas le réel plaisir de la pratique de leur activité. Un genre de pleine conscience de la pratique de l’activité physique.

Dans un premier temps, je ne crois pas que la compilation de données empêche systématiquement une personne d’éprouver du plaisir et de la satisfaction lors de la pratique d’activité physique.

Je ne crois pas que le fait de compiler des données soit systématiquement un symptôme d’un comportement obsessif compulsif.

Je crois que pour certaines personnes, il s’agit d’une des nombreuses manifestations d’un comportement obsessif compulsif ou de troubles de santé mentale.

Une parmi d’autres.

D’associer systématiquement la compilation de données sur la santé, comme le poids, les fréquences cardiaques, la puissance de travail, la force musculaire, etc., à un comportement obsessif compulsif me semble un raccourci dangereux. De soutenir qu’il ne faut pas mesurer de tels paramètres parce que cela mène à des troubles de santé mentale est tout aussi hasardeux.

Surtout lorsque ces données ont une valeur, lorsqu’elles sont interprétées adéquatement. Ce n’est pas parce que c’est potentiellement problématique pour certains que l’on doive diaboliser cette pratique pour tous.

Au risque d’en surprendre plus d’un, je n’éprouve que très peu de plaisir à courir. Courir me fait mal pendant et après l’effort. Pas une douleur associée à l’effort parce que je ne suis pas en forme, une douleur liée à un handicap qui est là pour rester. Courir pour le plaisir en regardant le paysage est également associée à une douleur lancinante qui perdure pendant toute l’activité. Même sur la plage avec une douce brise saline et un magnifique coucher de soleil.

Ce que j’aime de la course, c’est de mesurer ma puissance, sa relation avec ma vitesse de course, mes fréquences cardiaques, ma consommation d’oxygène, ma concentration d’oxygène musculaire ou encore ma température corporelle. Je trouve fascinant de voir comment, lorsque je maintiens ma vitesse dans une pente, ma puissance augmente, ma température corporelle aussi et que ma concentration d’oxygène musculaire des membres inférieurs diminue. Je m’émerveille devant les capacités d’adaptation aiguës de l’organisme. Il s’agit pour moi d’une musique parfaitement orchestrée qui joue au métronome de la physiologie.

Je n’irais pas courir sans mes capteurs. Je n’aurais pas de plaisir. Je préfère contempler le coucher de soleil, la brise de l’océan me caressant le visage, les pieds bien ancrés dans le sable.

Mais, en quoi est-ce différent de s’émerveiller devant les fluctuations biologiques du corps humain ou de le faire devant un magnifique paysage ? En quoi est-ce différent de se sentir zen en courant sur la plage devant un couché de soleil magnifique, ou encore de se sentir zen parce que son organisme réussi, sans contrôle volontaire, à dissiper la chaleur qu’il produit dans ses muscles, par sa peau qui l’enveloppe ?

Qui sommes-nous pour juger de la légitimité de l’émerveillement de quelqu’un ? Et surtout, de la santé de quelqu’un face à ses sources d’émerveillement ?

Je déplore que la tendance actuelle soit de rapidement passer certains comportements au hachoir. On juge rapidement de ce qui est bon et juste, et de ce qui est mauvais et condamnable. Ensuite, nous avons une horde de gens qui suivent dans la foulée du jugement hâtif et de la condamnation rapide.

Parce que j’adore compiler des données et que je ne pratiquerais pas d’exercice sans mes capteurs, ce serait malsain ? Il faudrait, pour être correct, que je sois malheureux à courir dans la souffrance devant un beau couché de soleil ? Il faudrait que je me force à apprécier l’exercice en pleine conscience, parce que si j’aime ça de cette façon, je serai assurément sur la bonne voie ? Et il faudrait que je culpabilise de ne pas aimer ça, parce que c’est la seule façon de « bien faire » de l’activité physique ?

Qu’est-ce que la bonne voie ? C’est quoi bien faire de l’activité physique ou de l’exercice ?

C’est lorsque tu te sens bien et que ça te fait du bien. C’est lorsque l’effort et la récupération sont cohérents avec les effets bénéfiques souhaités.

Moi, ce qui me fait bien me sentir, c’est de mesurer ce que je fais et d’être en mesure de l’associer à des processus physiologiques. Ça me fit du bien de voir que mon corps réagit exactement comme George A. Brooks3 ou encore Kinney, Wilmore et Costill4 le décrivent dans leurs ouvrages sur la physiologie de l’exercice.

Aller dans une retraite de méditation, ça m’énerve. J’ai l’impression de pelleter des nuages et rien dans tout cela ne me permet de relaxer. Cependant, si j’utilise un outil qui mesure mon activité cérébrale lors de la méditation, je suis en mesure 1) d’aimer ça et 2) de pleinement relaxer tel que mesurée par l’activité électrique de mon cerveau. Ça me fascine de voir comment mes ondes cérébrales sont influencées par la méditation.

Est-ce que ça signifie que les retraites de méditations sont inutiles et vides de sens, parce qu’on n’y mesure rien ?

Pas du tout.

Ça rejoint plein de gens qui en profitent pleinement et qui éprouvent de nombreux bienfaits.

Pour obtenir ces mêmes bienfaits, je dois observer et comprendre ce que je fais. Pour y arriver, j’aime bien utiliser des outils et recueillir des données parce que j’aime ça. Parce que j’en profite pleinement et que j’éprouve de nombreux bienfaits en le faisant. Je peux pleinement m’abandonner à la tâche, sachant qu’à la fin j’aurai un portrait de ce qui s’est réellement passé.

Le courant actuel de pleine conscience, que ce soit au niveau de la gestion du stress, de l’alimentation ou de l’activité physique, procure de nombreux bienfaits à beaucoup de gens.

Ça n’implique pas qu’une mesure cartésienne soit problématique. En démonisant systématiquement la mesure et la quantification, on évacue toute notion de science. On assiste même à des campagnes de peur qui associent directement la prise de mesures avec des troubles de santé mentale. Ironie du sort, j’ai des personnes qui m’ont contacté afin de savoir si j’acceptais de peser les gens. Ces personnes souhaitaient avoir une mesure juste de leur poids afin de comparer la valeur obtenue sur leur pèse-personne maison. Toutefois, elles ont essuyé plusieurs refus, différents professionnels de la santé ne voulant pas les peser. Ces personnes ne souhaitaient pas obtenir leur poids afin d’entamer un jeune complet de 30 jours (sic !) ou encore afin de mieux dormir le soir. Ces personnes souhaitaient valider le pèse-personne acheté à bas prix afin d’être en mesure d’observer les fluctuations de leur poids au fil du temps. Ce n’est pas systématiquement maladif ou synonyme de troubles de santé mentale, que de vouloir savoir ce qui se passe dans notre corps au fil du temps.

Ça prend plus que ça…

L’évacuation des mesures, et par le fait même de la science, est problématique. La science repose sur l’accumulation objective de données afin de mieux comprendre et de faire évoluer les savoirs. Pas seulement les savoirs des savants, les savoirs de tous et chacun.

Utiliser un peu plus de méthode scientifique dans sa vie, ça permet de s’ouvrir sur le monde et ses particularités. Ça permet d’essayer de comprendre objectivement les choses et de grandir. Est-ce que ça signifie que l’on doive évacuer toute zénitude et tout pelletage de nuage de nos vies ?

Pas du tout.

La pleine conscience et cie, c’est plus que correct. Ce n’est pas en opposition avec la science.

Le questionnement qui doit prévaloir est, selon moi, le suivant :

Est-ce que ce que je fais me procure des bénéfices ?

Est-ce que ce que je fais procure des bénéfices aux autres ?

 Est-ce que ce que je fais me cause du tort ?

Est-ce que ce que je fais cause du tort aux autres ?

Je pense qu’avant de juger d’un comportement et d’y apposer des diagnostics, il serait pertinent de chercher à comprendre avant de juger. Il serait également judicieux de se questionner soi-même sur nos intentions derrière notre jugement hâtif.

Ce n’est pas parce que nous nous intéressons à ce que nous faisons, que ce soit par l’accumulation de données ou une pratique régulière, que nous sommes obsessifs.

Ce n’est pas parce que nous sommes dans le néant de la contemplation que nous sommes sur la seule voie du bien-être.

Il y a un équilibre dans tout, et par définition, l’équilibre est une chose mesurable :

État de repos, position stable d’un système obtenu par l’égalité de deux forces, de deux poids qui s’opposent : Mettre les plateaux d’une balance en équilibre5.

Référence

  1. Berczik K, Szabó A, Griffiths MD, et al. Exercise Addiction: Symptoms, Diagnosis, Epidemiology, and Etiology. Substance use & misuse. 2012;47(4):403-417.
  2. Colledge F, Sattler I, Schilling H, et al. Mental disorders in individuals at risk for exercise addiction – A systematic review. Addict Behav Rep. 2020;12:100314.
  3. Brooks GA. Exercise Physiology: Human Bioenergetics and its Application. New York: McGraw-Hill 2005.
  4. Kenney LW, Wilmore JH, L CD. Physiology of Sport and Exercise: Human Kinetics 2012.
  5. équilibre Available: https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/%C3%A9quilibre/30674.

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