L’industrie des suppléments nutritionnels est bien établie et, à l’échelle mondiale, le marché des suppléments pour la perte de poids était évalué à environ 28,58 milliards de dollars américains en 2023 et devrait atteindre 38,82 milliards de dollars américains d’ici 20321.
Bien que les produits utilisés pour la perte de poids soient souvent controversés, il existe néanmoins des études scientifiques tentant de déterminer leur efficacité et leur innocuité2-4. Malgré des opinions souvent très tranchées, que ce soit pour ou contre, il n’en demeure pas moins que ces produits sont disponibles et consommés par plusieurs.
La question se pose alors : est-ce que ces produits sont efficaces pour perdre du poids ?
On m’a dernièrement envoyé une publicité (merci, Olivier, pour l’info) pour un produit vendu pour la perte de poids qui mentionnait des propriétés stimulant le métabolisme énergétique, favorisant une meilleure oxydation des lipides ainsi qu’une meilleure gestion de la glycémie. Ces trois éléments combinés peuvent effectivement contribuer à une meilleure gestion du poids. Il n’en fallait pas plus pour piquer ma curiosité.
Comment fait-on pour savoir si un supplément fonctionne ou non ?
La question peut paraître simpliste et, dans le cas présent, nous pourrions simplement observer l’évolution du poids afin de déterminer si le produit fonctionne ou non. Or, ceci s’avèrerait injuste pour ledit produit. Le produit peut être efficace pour augmenter le métabolisme de repos, optimiser l’oxydation des lipides et réguler la glycémie sans pour autant que le poids diminue. La balance énergétique est influencée par une multitude de facteurs qui peuvent faire en sorte que le produit soit efficace pour ce qu’il est censé faire, sans pour autant qu’une balance énergétique négative soit observée. Une personne peut bouger moins pour diverses raisons n’étant pas reliées au produit, ou encore manger plus pour tout autant de raisons sans lien avec le supplément. Afin de déterminer si le produit est efficace ou non, il faut chercher à mesurer spécifiquement les effets. Il faut donc mesurer le métabolisme de repos, l’oxydation des substrats, la glycémie et contrôler pour le plus de variables autres pouvant introduire un biais (par exemple, mesurer l’activité physique sur 24 h afin d’observer si elle demeure constante, diminue ou augmente).
C’est beaucoup de travail, me direz-vous ?
Mais c’est pas mal ça que ça prend pour déterminer si un produit a les effets qui lui sont prétendument associés. Ce n’est pas à la portée de tous, j’en conviens. Mais, comme j’ai les équipements me permettant de mesurer la dépense énergétique de repos, l’oxydation des substrats et la glycémie en continu, pourquoi ne pas aller de l’avant…
Par quoi commence-t-on ?
Ma première étape lorsque je m’intéresse à un nouveau supplément est d’identifier si le produit a été audité par un organisme externe en ce qui a trait à ces composantes (Certification NSF par exemple). Ensuite, j’effectue une recherche d’articles scientifiques pour chacun des ingrédients actifs du produit.
La première étape me permet de déterminer si le produit est exempt de contaminants et que ce qu’il contient correspond bien à ce qui est indiqué sur l’étiquette. Sur le site du fabricant, on mentionne que le produit détient une homologation Informed Sport, toutefois l’appellation ne figure pas sur le contenant du produit. Après vérification sur le site internet de Informed Sport, le produit est effectivement homologué. Mine de rien, il existe très peu de certifications permettant de clairement déterminer si un produits « est propres » et conforme. Il existe bon nombre de « certifications » qui ne sont que des ententes de conformité volontaire (une liste est envoyée au frabricant, ce dernier coche les cases en affirmant qu’il respecte le tout et il retourne la documentation pour approbabtion sans qu’aucune vérification ne soit faite).
La seconde étape me permet d’avoir une meilleure idée des effets probables et de l’ampleur de ces derniers. Le produit est composé de plusieurs ingrédients ayant été étudiés pour leur effet potentiel sur la perte de poids5-13. C’est un bon début, il y a de la science derrière le produit.
Ensuite, je tente de contacter le fabricant pour avoir les meilleures informations possibles quant à l’utilisation du produit. Dans le cas présent, est-ce que les effets sont de nature aiguë (effets immédiatement après la consommation) ou encore nécessitent-ils plus de temps pour se manifester (effets semi-chroniques apparaissant après un certain laps de temps) ? Le fabricant s’est montré extrêmement coopératif et m’a permis de mettre en place mon protocole d’évaluation (dosage approprié, durée d’observation, etc.). Les effets du produit se manifestent après un certain temps, il a donc fallu que mon protocole s’échelonne sur plusieurs semaines afin d’être en mesure d’observer les résultats.
J’ai donc effectué des mesures de métabolisme de repos par échanges gazeux (O2 et CO2) au réveil tous les matins pendant presque 3 semaines ce qui me permettait d’observer les effets sur le métabolisme de repos et sur l’oxydation des substrats à jeun. J’ai également porté un moniteur de glycémie en continu pendant 15 jours pour la même période, de même que mesurer mon activité physique sur 24 h avec un accéléromètre. Finalement, je me suis pesé tous les matins afin d’observer mes fluctuations de poids.
Les premiers quatre jours d’observation étaient sans consommation du produit et m’ont servi de valeurs de références. Les 18 jours suivants ont respecté la posologie suggérée par le fabricant.
Qu’est-ce que ça nous donne après ~3 semaines ?
Le tableau 1 présente l’ensemble des résultats pour la période d’observation.
Le métabolisme de repos est demeuré inchangé pour la période, sans effet significatif (valeur de P) ou cliniquement important (valeur d’effet de taille).
Le quotient respiratoire à jeun, qui est un indicateur d’oxydation des substrats, est également demeuré inchangé pour la période, sans effet significatif ou cliniquement important.
La glycémie quotidienne moyenne est demeurée inchangée pour la période, sans effet significatif ou cliniquement important.
L’activité physique sur 24 h est demeurée inchangée pour la période, sans effet significatif ou cliniquement important.
Le poids est demeuré stable pendant la période (différence de poids de moins de 1kg entre le début et la fin).
Qu’est-ce que ça signifie ?
Est-ce qu’il est possible que le produit soit inefficace ou même frauduleux ?
Je ne saurais dire.
Pourquoi ?
Pour plusieurs raisons.
Premièrement, ce n’est pas parce qu’on n’observe pas d’effet qu’un produit ne fonctionne pas. Les analyses statistiques reposent sur des probabilités et, dans le contexte de notre petite étude, il est peu probable que le produit soit efficace. Il n’est pas impossible que dans une autre étude sur le même produit, on observe des effets significatifs qui irait dans le sens opposé. Il serait donc important de tenter de reproduire l’étude avec un échantillon plus grand, sur une plus longue période, etc. afin d’essayer de nouveau d’observer des effets.
Deuxièmement, notre étude comporte une limitation majeure, celle du nombre de participants (1 seul). Bien que ceci permette de contrôler plus facilement de nombreuses variables, la taille de notre échantillon nous empêche de conclure quoi que ce soit quant à l’efficacité du produit testé. La taille de notre échantillon ne nous permet pas d’étendre nos observations à une population plus grande. Toutefois, personnellement je n’utiliserai pas le produit afin de stimuler le métabolisme de repos, modifier l’oxydation des substrats ou encore mieux réguler ma glycémie.
Mais ça, c’est bien personnel et je n’étendrai pas ces conclusions à personne d’autre que moi.
Toutefois, nous pouvons établir à partir de nos observations qu’il est possible que le produit n’ait pas les effets escomptés (c’est ce que nous avons observé).
Que pouvons-nous conclure ?
Si vous vous attendez à ce que je nomme le produit ou encore que je condamne l’usage de suppléments pour la perte de poids, vous serez déçu.es.
Les objectifs de ce petit projet n’étaient pas de cibler un produit et de le vilipender sur la place publique (ou d’en faire la promotion), mais plutôt de démontrer qu’il est difficile de déterminer avec certitude qu’un produit fonctionne… ou qu’il ne fonctionne pas.
À la lecture de l’article, je me doute que plusieurs ont réagi en fonction de leur croyance initiale. Par exemple, les partisans de l’usage des suppléments ont tout de suite cherché à identifier les lacunes et les failles de mon étude ou encore à discréditer le projet en soi (ou même à me discréditer personnellement).
À l’opposé du continuum de l’obstination, les gens fermement opposés à l’usage de suppléments ont rapidement acclamé les résultats pour affirmer que les suppléments ne fonctionnent pas ou encore qu’ils sont le produit du génie du mal.
Dans les deux cas, ce ne serait pas juste ni fondé.
En faisant ce projet, je souhaitais démontrer qu’il était très difficile de déterminer si un supplément nutritionnel fonctionne ou non. L’usage de supplément est bien souvent fondé sur un acte de foi envers le fabricant, car il nous sera extrêmement difficile, dans la majorité des cas, d’observer les effets des suppléments (une amélioration de votre gestion des radicaux libres, est-ce que ça goûte quelque chose ?).
Voilà pourquoi, lorsque l’on souhaite faire usage de suppléments, il est préférable de :
- S’assurer que le produit a été audité par un organisme externe qualifié, qu’il est exempt de contaminants et que le contenu est conforme à l’étiquetage.
- S’assurer de la légitimité des ingrédients et de leurs effets potentiels (oui, ça prend des études scientifiques indépendantes, parce que la poudre de Perlinpinpin, ça peut transformer en champignon alors mieux vaut le savoir de sources fiables)
- Si possible, observer/mesurer les effets potentiels du produit (oui, pas facile).
- Exiger du fabricant de rendre disponible toute étude scientifique indépendante concernant ses produits (un petit courriel bien gentil).
Bien sûr, vous pouvez simplement acheter et consommer le produit, c’est votre droit et privilège de consommateur.
Références
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- Sudeep, H. & Shyam Prasad, K. Supplementation of green coffee bean extract in healthy overweight subjects increases lean mass/fat mass ratio: A randomized, double-blind clinical study. SAGE Open Medicine 9, 20503121211002590 (2021).
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Bon, rien d’impressionnant comme titre vous me direz mais, la question mérite d’être posée. Vous avez assurément déjà entendu qu’il Read more
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